I – OURDISSAGE DE LA CHAINE :

L’ourdissage est le fait de placer les fils parallèlement entre eux pour constituer la chaîne d’un tapis ou d’une tenture. On cherche à obtenir deux nappes de fils tendus parallèlement entre eux, les deux nappes devant par la suite pouvoir se croiser entre elles après chaque passage des fils de trame, ce qui constituera le tissage proprement dit.

Le métier marocain étant un métier vertical, la chaîne elle-même est verticale lors du tissage tandis que les fils de trame sont glissés horizontalement entre les deux nappes de fils de chaîne.

Pour les tapis à points noués, on intercale les rangées de nœuds entre les passées de fils de trame, les brins de laine étant noués sur les fils de la chaîne.

C’est pour la chaîne que l’on choisira le fil le plus fin et le plus solide. La torsion augmentant la solidité du fil, le fil de chaîne sera un fil ayant une torsion maximum.

Autrefois toujours faite en laine, la chaîne est de plus en plus souvent réalisée en coton ou en d’autres matières. Tamo, quant à elle, restait fidèle à la laine et préférait filer elle-même son fil de chaîne pour être sûre de sa solidité.

Le fil de trame est beaucoup plus floche car, ne travaillant pas comme le fil de chaîne, il n’a pas besoin d’avoir la même solidité. Ce que l’on recherche avec lui, c’est en effet bien plus le confort, la chaleur et la beauté du matériau que sa résistance à la traction. Pour la confection des points noués, Tamo comme Mina utilisaient la même laine que pour la trame.

La chaîne étant généralement plus longue que la hauteur du métier à tisser, elle n’est pas montée directement sur le menjej mais sur des piquets plantés en terre et, seulement une fois terminée, enroulée sur les ensouples avant le montage du métier.

Avant de commencer l’ourdissage de la chaîne, il faut déterminer la taille du tapis que l’on veut réaliser, sa longueur ainsi que sa largeur. La distance entre les deux piquets correspondra, comme on va le voir plus en détail ci-dessous, approximativement à la longueur du tapis. La largeur est plus pointue à obtenir mais la tradition a mis en place un protocole qui permet de la respecter presque exactement.

Pour confectionner la chaîne, on va enrouler le fil autour de ces deux piquets en les croisant au milieu toujours dans le même sens et pour maintenir leur écartement et leur parallélisme (ce dont va dépendre la largeur du tapis), on va intercaler des mèches spéciales entre les fils, à chacune des extrémités.

Il s’agit donc là d’une entreprise longue et minutieuse qui nécessite, au moins pour la réalisation proprement dite de la chaîne, la participation de trois personnes et dont nous allons reprendre en détail les différentes opérations.

A – LONGUEUR DE LA CHAINE :

Elle dépend de la distance séparant deux piquets plantés verticalement en terre et sur lesquels va être enroulée le fil le fil de chaîne. Cette distance est égale à la longueur du tapis que l’on veut réaliser plus une cinquantaine de centimètres qui correspondent à la portion de chaîne qui sera fixée sur les ensouples et ne pourra pas être tissée. Par exemple, pour un tapis de 2 m de long, on va planter les deux piquets à 2 m 50 l’un de l’autre.

tissage - longueur chaine

Quand le tapis sera terminé, on coupera les fils de chaîne en laissant de part et d’autre du tapis la longueur désirée pour les franges. La portion restante est donc  "sacrifiée", mais elle est souvent en fait conservée pour des usages divers : réparations de tapis, ficelles, etc.

B – LARGEUR DE LA CHAINE :

Elle correspond à la largeur du tapis que l’on veut réaliser.

Pour l’établissement de cette largeur, vont être pris en compte l’épaisseur des fils et les espaces à maintenir entre eux. Cette opération à l’apparence compliquée, les femmes du bled ont appris à la réaliser avec simplicité, grâce à deux mèches de fils dont la longueur se calcule de manière traditionnelle (c’est le résultat d’une longue expérience) et qui serviront à la fois à séparer les fils de chaîne en les maintenant parallèles entre eux et à en limiter le nombre en fonction de la largeur décidée.

On commence par doubler la largeur décidée pour le tapis. Ainsi, si on veut faire un tapis de 1 m de large, on va préparer deux mèches de 2 m chacune. A ces deux mètres on va encore ajouter 70 ou 80 cm qui serviront à attacher la chaîne sur les ensouples plus encore une petite longueur qui va servir à attacher les mèches sur les piquets et pour l’aisance dans le travail.

Ces mèches seront composées de 6 fils de chaîne. Il faut pour leur fabrication 1 piquet et 2 personnes. Voici comment Tamo a procédé :

1 – Elle s’est placée à distance voulue du piquet, soit comme nous venons de le voir : largeur du tapis + longueur destinée à la fixation sur les ensouples, soit entre 70 et 80 cm + une petite longueur supplémentaire pour l’aisance dans le travail. Le début de la pelote de fil de chaîne étant attaché à son pouce gauche, elle a dressé sa main gauche ouverte devant elle, paume dirigée vers le piquet : elle était ainsi prête pour la suite de l’opération.

2 – Une autre femme a récupéré le peloton de fil et, le laissant se dévider en maintenant une certaine tension, elle est allée jusqu’au piquet qu’elle a contourné, est venue jusqu’à Tamo et a passé le fil autour de son petit doigt gauche. Elle est alors retournée jusqu’au piquet en revenant sur ses pas, a donc contourné le piquet en sens inverse de la fois précédente, est revenue passer le fil autour du pouce de Tamo et ainsi de suite, accrochant le fil une fois au pouce, une fois au petit doigt de Tamo, ceci jusqu’à ce qu’il y ait de part de d’autre du piquet les six fils voulus.

tissage - six fils voulus

tissage - meche six fils

3 – On a alors coupé la mèche réalisée au niveau du piquet et on a obtenu deux mèches de même longueur et de 6 fils chacune.

4 – On a fixé ces deux mèches par leur milieu au bas de chacun des deux piquets A et B en passant simplement les deux extrémités dans la boucle médiane.

tissage - boucle mediane

A partir du nœud fait sur chacun des piquets, on a recompté 1 m, soit ici la largeur décidée pour le tapis à réaliser, et on a fait à cet endroit, sur chacune des mèches obtenues maintenant (soit deux par piquet, donc 4 en tout) une marque bien visible, avec un crayon ou un fil de couleur noué serré. Tamo m’a expliqué qu’il était important que ces marques restent visibles jusqu’à la fin de l’ourdissage car c’est par elles seulement que l’on saura quand la largeur de la chaîne sera atteinte.

tissage - largeur chaine

On a donc maintenant au départ de chaque piquet 2 mèches de 6 fils qui vont être croisées entre elles après chaque passage du fil de chaîne, permettant ainsi l’écartement régulier des fils de chaîne et la possibilité de les mettre en nappes.

C – REALISATION DE LA CHAINE :

Elle se fait en trois opérations successives : la lisière inférieure, la chaîne proprement dite et la lisière supérieure.

1 – la lisière inférieure :

On commence par attacher l’extrémité du fil de chaîne en bas du piquet sur l’une des deux mèches contre le nœud qui attache celle-ci au piquet.

On passe le fil de chaîne autour des 2 piquets, plusieurs fois (5, 6 ou 7), en allant toujours dans le même sens, sans croiser entre les piquets. Puis on ressort tous ces fils à la fois des piquets, on les croise une seule fois et on replace la lisière ainsi obtenue sur les piquets en prenant l’une des deux mèches à chacun des 2 piquets.

tissage - lisiere inferieure

La lisière est prête : elle correspondra à l’une des lisières latérales de l’ouvrage réalisé.

tissage - lisiere prete

2 – La chaîne proprement dite : Il faut 3 personnes pour la monter. Appelons ces personnes X, Y et Z. Y étant assise auprès du piquet A et Z assise auprès du piquet B, X munie d’un peloton de fil de chaîne va aller de l’une à l’autre en déroulant le fil et en croisant chaque fois ce dernier entre les deux piquets.

A chacun de ses passages, Y et Z intercalent une mèche entre le fil de chaîne et le poteau, une fois une mèche, une fois l’autre très régulièrement (cf les croquis qui suivent).

a - il est important que les fils soient toujours croisés dans le même sens : Y par exemple prendra toujours le fil à sa gauche pour le laisser repartir à droite tandis que Z le prendra toujours à droite pour le laisser repartir à gauche.

tissage - sens du travail

Sens du travail : vue par le coté

tissage - vue dessus

Sens du travail : vue par dessus

b - A chaque passage du fil en A et B, Y et  Z vont intercaler une mèche entre le fil de chaîne et le piquet ; elles intercalent une fois une mèche, une fois l’autre, alternativement, en les croisant toujours dans le même sens, le long du piquet (cf le croquis qui précise le mouvement à réaliser). Cela permet d’avoir une bordure solide mais surtout des fils de chaîne régulièrement espacés. Par ailleurs les mèches doivent être maintenues tendues tout le long de ce travail pour que soit obtenue la largeur décidée pour la chaîne, donc celle du tapis à réaliser.

ourdissage chaine 1 ourdissage chaine 2 ourdissage chaine 3

  ourdissage chaine 4   ourdissage chaine 5  
tissage maroc- Z

Z vient de croiser ses mèches après un passage du fil de chaîne et

relève vers la verticale la mèche inférieure m1

tout en maintenant tendue à l’horizontale la mèche m2

X a fait passer le fil de chaîne derrière le piquet et la mèche m1 tissage maroc - X
tissage maroc - Z-1


Z en tirant les 2 mèches vers l’horizontale ramène le fil passé

par X au niveau de la chaîne en cours.


Z croise les mèches (toujours dans le même sens) et

relève maintenant la mèche m2 afin que X puisse passer le fil derrière elle.

tissage maroc - Z-2

3 – La lisière supérieure : elle se fait comme la lisière inférieure, c’est-à-dire en faisant passer plusieurs fois (le même nombre pour les deux lisières) le fil de chaîne sur les piquets sans les croiser et sans prendre de mèche à chaque passage ; puis on ressort tous ces fils de lisière à la fois pour les croiser ensemble une fois ; on replace alors la lisière sur les piquets en prenant cette fois une mèche à chacun des deux piquets. On a donc maintenant la deuxième lisière latérale.

On noue alors les mèches au-dessus de cette lisière. La chaîne est prête.

Si on veut teindre la chaîne : c’est le moment de le faire. On sort alors la chaîne des piquets et on maintien l’écheveau obtenu par des nœuds de ficelle avant de tremper dans la teinture.

Note : Mina, m’a-t-on dit, montait souvent sa chaîne avec l’aide d’une seule personne. Il lui fallait alors 3 piquets, 2 correspondants à A et B placés devant elle et un autre placé en triangle, à une distance correspondant au milieu de la chaîne qu’elle voulait ourdir. Mina s’occupait seule des mèches, son assistante se contentant de faire circuler le fil autour des 3 piquets.

tissage marocain - lisière

Mais je ne me souviens pas l’avoir vu faire et ne peut pas donner de précisions supplémentaires.